19 rue Thiers 13100 Aix-en-Provence
+33 (0) 6 31 01 48 09
therapie.narrative@gmail.com

Le concept de « NarrActeur »

Association Française des Thérapies Narratives

Serge MORI

« Les formations actuelles, l’apprentissage, la société nous propose des choses faciles à comprendre et à appliquer sous couvert d’un gain de temps et d’efficacité. Mais toutes ces notions et ces concepts comme la « déconstruction » de Derrida, la « déterritorialisation » de Deleuze, le « Savoir-Pouvoir » de Foucault, « l’identité narrative » de Ricoeur ou bien l’« habitus » de Bourdieu, pour ne citer qu’eux (figures principales de la French Theory) ne peuvent être saisies en un claquement de doigt ! C’est l’œuvre et l’investissement d’une vie pour créer, inventer et développer un concept et il en faut tout autant pour que l’on puisse en saisir les entoures. Le concept de « NarrActeur » n’échappe pas à la règle, je me dois donc de déplier l’origine de ma construction théorico-pratique et les travaux sur lesquels j’ai dû m’appuyer. » 


SOMMAIRE

  1. Qu’est-ce que la thérapie narrative ?
  2. Création du concept de « NarrActeur » (1999 – 2004)
  3. Freud et le concept de « NarrActeur » (2004-2009)
  4. Lacan et les conversations thérapeutiques (2009-2011)
  5. Frankl et la recherche d’un sens
  6. White, la « French Theory », les cartes et le concept de « NarrActeur » (2019-2020)
  7. Anderson, Renik et les conversations thérapeutiques 
  8. Schéma de l’arc réflexe appliqué au concept de « NarrActeur » (2011-2019)
  9. Le concept de « NarrActeur » dans son évolution actuelle (2020)
  10. La recherche d’un sens à une histoire singulière
  11. Transport du futur pour notre concept de « NarrActeur » (2020, 21, 22, etc…)


Qu’est-ce que la thérapie narrative ?

« La thérapie narrative fait partie des thérapies brèves. Elle a été créée par Michael White et David Epston dans les années 1980. La thérapie narrative consiste à établir des conversations thérapeutiques entre un patient et un thérapeute et à questionner la réalité sociale, culturelle et historique du patient. Le patient et le thérapeute cherchent ensemble (co-chercheurs) au travers de ces conversations thérapeutiques, à libérer le patient du problème : le patient n’est pas le problème, le problème est extérieur à lui, « le problème est le problème ». Elle vise à promouvoir l’apparition d’une histoire alternative chez le patient, de façon à ce qu’il re-devienne auteur-acteur (NarrActeur) de sa propre histoire. En thérapie narrative nous ne soignons pas des personnes mais des histoires. »


Création du concept de « NarrActeur » (1999 – 2004) 

C’est en 1999, à partir d’un travail réalisé en hôpital de jour en psychiatrie adulte, que nous avons initié une activité de recherche exploratoire avec une population de sujets psychotiques s’étayant sur un support audiovisuel.

Le cinéma et la narration, mon parcours professionnel et mon cheminement personnel m’ont conduit par la suite à m’orienter à poursuivre notre activité de recherche. En 2004, nous avons initié notre recherche sur le « Contexte et la Narration de Soi » à Aix-Marseille Université.

L’apport théorique était plus orienté vers la thérapie systémique que la thérapie narrative. Après cinq années de recherche nous avons présenté et soutenu le 6 Juillet 2009 une thèse s’intitulant : « Les NarrActeurs. Une thérapie narrative vers une approche postmoderne à partir du support cinématographique ».  

Nous avons pu dégager 4 axes principaux :

1-  Le support cinématographique stimule notre capacité narrative.

2-  A partir du récit filmique la narration ouvre vers le champ de nouvelles possibilités.

3-  La façon dont un patient raconte son histoire influe la façon dont il la vit.

4- Nous pouvons faire l’expérience, de passer de la narration d’un film à une narration autobiographique sans s’en apercevoir.

            Pour saisir l’évolution du concept de « NarrActeur » nous nous sommes principalement intéressés aux travaux de Freud, Lacan, Frankl, la « French theory », White et Anderson.

1 – La thèse de Freud sur le fonctionnement du psychisme et sa découverte de l’inconscient, le Refoulement, les trois instances psychiques que sont le Moi, le ça et le Surmoi et enfin le transfert.   

2 – La thèse de Jacques Lacan repose sur cette idée : « L’inconscient structuré comme un langage », il dépliera tout au long de sa vie sa thèse à partir d’un schéma(le schéma L)et de trois instances qu’il nommera, le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire.

3 – La logothérapie de Viktor Frankl

4 –  S’inspirant de la « French Theory », de la linguistique et de la déconstruction des narrations, Michael White souligne l’importance des métaphores dans la narration de son vécu et de l’externalisation d’un problème.

5 –  Harlene Anderson qui utilise l’approche « collaborante » dans les conversations thérapeutiques et Owen Renik qui utilise la « déclosion » dans ses séances.

Commençons par le schéma neurologique de l’arc réflexe pour initier notre lecteur aux thèses de Freud concernant le fonctionnement du psychisme. Freud est neurologue de formation et nous souhaitons ici développer un modèle conceptuel utilisé par la neurophysiologie du XIXème siècle (toujours d’actualité dans la neurologie moderne).

Ce schéma sera notre base de raisonnement que nous modifierons progressivement à mesure que nous développerons les thèmes qui nous intéressent et qui ont nourri le concept de « NarrActeur ».


 Freud et le concept de « NarrActeur » (2004-2009)

Le schéma neurologique de l’arc réflexe est très simple.
Il comporte 2 extrémités :

  • Celle de gauche, extrémité sensitive, où le sujet perçoit l’excitation, c’est-à-dire l’injection d’une quantité x d’énergie lorsqu’il reçoit, par exemple, un léger coup de marteau médical sur le genou.
  • Celle de droite, extrémité motrice, où le sujet libère l’énergie reçue par une réponse immédiate du corps :  dans notre exemple, la jambe réagit aussitôt par un mouvement réflexe d’extension.
  • Entre les 2 extrémités s’installe une tension qui apparaît avec l’excitation et disparaît avec la décharge motrice le principe régissant ce trajet en forme d‘Arc est donc très clair : recevoir l’énergie, la transformer en action et par conséquent, abaisser la tension du circuit.

L’essentiel de la logique du fonctionnement psychique considérée du point de vue de la circulation de l’énergie se résume en 4 temps :

  • 1er temps : excitation continuelle de la source et mouvement de l’énergie en quête d’une décharge complète jamais atteinte.
  • 2e temps : la barrière du refoulement s’oppose au mouvement d’énergie.
  • 3e temps : la part d’énergie qui ne franchit pas la barrière reste confiné dans l’inconscient et réactive la source d’excitation.
  • 4e temps : la part de l’énergie qui franchit la barrière du refoulement s’extériorise sous la forme de plaisir partiel inhérent aux formations de l’inconscient.

Le cadre freudien prend donc pour acquis et c’est là un inconvénient, que le patient souffre uniquement de traumatismes liés à des conflits qui ont été symbolisés, puis refoulés, donc qui sont survenus à un âge ou dans un état psychique où ils pouvaient être transformés en symboles et se retrouver dans l’inconscient sous forme de représentations de choses. Le patient souffrirait donc, par le refoulement, de ne pas pouvoir se formuler à lui-même ce qu’il veut, ce qui l’habite, et qu’il avait symbolisé. Lorsque le souvenir écran se projette sur l’écran, lorsqu’un film fait place à un dire chez le patient, c’est en effet une opération analogique, un mécanisme, celui du déplacement qui se met en œuvre. Les deux questions auxquelles pouvaient répondre les patients « qu’avez-vous compris du film ? » et « quel est le passage que vous avez retenu ? », pouvaient paraître essentielles mais elles ne jouaient en fait qu’un rôle très effacé. C’était finalement juste un « pré-texte » qui nous donnait la possibilité d’aborder d’autres systèmes de valeurs, de croyances, de possibilités que nous avons explorés sans le support cinématographique. Nous avons évolué avec les « cartes » de Michael White afin de nous inscrire comme des thérapeutes « NarrActeurs », dans des conversations thérapeutiques. Ce travail n’a pu se faire sans l’apport des travaux de Lacan.


Lacan et les conversations thérapeutiques (2009-2011)

Une histoire est faite de plusieurs événements reliés dans le temps par un thème dominant, le patient et le thérapeute de concert réécrivent l’histoire de l’identité du patient en s’étayant sur les croyances profondes, les valeurs, les blessures et l’idéalisation du patient.

Qu’entendons-nous par idéalisation du patient ? Nous faisons référence en fait au schéma L de Jacques Lacan et particulièrement à l’axe imaginaire.

Ce que Lacan entend par « imaginaire » n’a qu’un rapport indirect avec l’imagination, mais est avant tout une conception originale du narcissisme. Lacan (1966, p. 304) pense que le moi est une illusion que la psychanalyse doit dissiper, afin que soit reconnu le « Je » du discours. Toujours selon Lacan, toute description objectivante du moi doit être bannie, qu’il s’agisse de sa « fonction synthétique » (Lacan, 1966, pp. 374-375) ou de sa mégalomanie, « ce cliché imbécile » (Lacan, 1966, p. 814).

L’axe imaginaire (moi (a) __________ autre), peut être représenté simplement dans la relation thérapeutique (le patient et le thérapeute).

Le patient idéalise le thérapeute, il le met à une place de « tout sachant », c’est-à-dire, une personne qui sait quelque chose sur le patient. Cette idéalisation nous la retrouvons dans la vie quotidienne, un homme idéalise une femme, par exemple pour sa beauté, pour son intelligence, etc., et une femme peut idéaliser un homme par exemple pour son statut social, pour sa force, etc…

Nos rencontres se fondent sur un mirage, que nous connaissons sous le nom de phase de « lune de miel », c’est-à-dire, les premiers temps de la rencontre, on s’illusionne, on idéalise, on trouve son partenaire idéal !

Cette parole qui fonde l’histoire du patient ne vient pas de l’autre (c’est-à-dire de l’image de mon semblable), mais de l’Autre (avec un grand A), celui que l’on retrouve dans l’axe symbolique (Autre _____ _ _ _ (Es) S).

L’Autre c’est l’inconscient, « L’Autre est le « trésor » de tous les signifiants qui modèlent la demande du sujet » (Lacan, 1966, p. 818). En d’autres termes, l’Autre c’est le lieu du langage, c’est le discours que le patient énonce. Prenons l’exemple de la bande dessinée : vous avez deux personnages dessinés et au-dessus de chaque personnage, une bulle avec une phrase (phrase qui symbolise l’interaction entre les deux personnages). Et bien ce qui est au-dessus des personnages dessinés et ce qui est écrit à l’intérieur de la bulle, c’est l’Autre. Nous pouvons prendre un autre exemple : un homme qui entre dans un lieu religieux et qui s’adresse à Dieu et bien il adresse un discours à un Autre (à une instance qui n’est pas palpable, qui n’est pas une image, qui n’est pas une personne, qui n’est pas un autre mais un Autre).

C’est pour cette raison que le concept de « NarrActeur » prendra un A majuscule car il représente cette instance « Autre » / « Acteur ». Vous arriverez sous l’éclairage de ce grand « Autre » à comprendre la phrase que j’énonce fréquemment pour résumer dans une formule ramassée la définition de la thérapie narrative : « Nous soignons des histoires et non des personnes »

Nous pouvons désormais avancer dans notre conceptualisation en appliquant le schéma de l’arc réflexe au concept de « NarrActeur ».


Frankl et la recherche de sens (2009-2011)

Nous avons un autre chercheur comme Viktor Frankl qui s’est intéressé à la question du sens dans son livre : « Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie ». Reprenons le titre de son ouvrage point par point : 

– « Découvrir un sens à sa vie » : Nous n’avons besoin ni de thérapeute ni d’une quelconque thérapie pour découvrir un sens à notre vie. On ne découvre jamais rien au mieux on re-découvre, c’est-à-dire qu’au fond on ignore, on oublie, on minimise les moments d’exceptions que nous avons vécus et par là-même nos rêves, nos espoirs, nos intentions et nos compétences. Elles sont là, elles se sont déjà exprimées dans notre histoire mais il y a tellement d’autres rencontres et événements négatifs dans notre vie et surtout la manière dont nous les racontons qu’il ne reste plus de souvenirs en mémoire pour parler de ce qui va et de ce qui va plutôt bien tout autour de nous et en nous.

– D’autre part de quoi parlons-nous, « d’un sens à sa vie » ? Mais la vie est un non-sens, un casse-tête chinois dont nous ignorons tout. Il ne s’agit pas de re-donner un sens à sa vie mais bien à son histoire, et une histoire singulière où chaque « un » devra bricoler un quelque chose avec son thérapeute ou pas pour pouvoir sortir des tenailles de la répétition d’un symptôme qui parfois nous conduit à souffrir.

– Enfin Frankl nous explique que selon la logothérapie, nous pouvons découvrir le sens de la vie de trois façons différentes : à travers une œuvre ou une bonne action, en faisant l’expérience de quelque chose ou de quelqu’un et par son attitude envers une souffrance inévitable. Vaste programme ! 1- Le sens de l’accomplissement, 2- Le sens de l’amour et 3- Le sens de la souffrance. L’intention ici n’est pas de développer les thèses de Frankl dans le détail, comme celles de Freud, Lacan, Derrida, Deleuze, Foucault, Ricoeur, Bourdieu ou White, bien que fondamentales pour la création de notre concept de « NarrActeur », mais bien d’avancer dans l’exposé chronologique de notre recherche en thérapie narrative.


Cartes, « French Theory » et concept de « NarrActeur » (2019-2020)

Les cartes sont directement associées aux questions que le thérapeute narratif pose au patient. Le mot carte est à entendre comme une métaphore (liée à l’histoire de M. White). Pour être plus clair dans nos propos nous parlerons de questions (cartes = questions).

Ces questions ne sont pas à apprendre par cœur bien entendu. Il s’agit d’exemples que nous ne tenons pas à donner ici afin que le thérapeute soit le plus libre possible pour créer les siennes. Elles ont comme boussole un socle philosophique solide qui porte le nom de « French theory ». White s’est clairement inspiré des travaux de philosophes français comme Foucault, Derrida et Deleuze.

Le fil conducteur du concept de « NarrActeur », c’est le colloque singulier patient thérapeute qui est invité à une conversation thérapeutique où l’enjeu n’est pas intrapsychique mais bien « inter-psychique ». Une rencontre clinique avec des questions et des réponses de part et d’autre et le Sens ! Le sens accordé par le patient à ce qu’il raconte …


Anderson, Renik et les conversations thérapeutiques 

Il y a un risque dans les « conversations thérapeutiques ». Le risque majeur c’est d’être mis en lieu et place de « tout puissant », c’est pourquoi dans la thérapie narrative nous utilisons la « déclosion », c’est-à-dire l’auto-révélation, l’analyse du transfert, le patient parle de ce qu’il ressent, de ses valeurs de ses émotions et le thérapeute parle de ce qu’il ressent à partir de ce que narre le patient. Il ne reste certainement pas anonyme et il pose des questions, il intervient Activement en donnant aussi ses ressentis en partageant ses versions de l’histoire. Ce travail permet de déconstruire, et de co-déconstruire le problème plus facilement et de mieux comprendre l’identité narrative du patient.

Nous devons procéder comme anti-herméneutes, déconstruisant les édifices d’interprétations que nous ou nos patients avons érigés, plutôt comme co-constructeur du sens ou de l’histoire. Avec le concept de NarrActeur nous allons pouvoir opérer dans la pratique un geste clinique innovant. Cette innovation, Owen Renik, la propose. Nous pouvons à ce niveau en dégager les principales idées à partir des questions suivantes :

1- De quoi est faite la compréhension dans la situation thérapeutique ?

2- De quoi est faite l’autorité ?

3- Comment compréhension et autorité sont-elles mises en jeu entre thérapeute et patient ?

Ces quelques questions posent un grand nombre de problèmes philosophiques et épistémologiques fascinants, mais ils reposent pour le praticien, sur des choix quotidiens concernant la technique dont aucun peut-être n’est aussi crucial que le problème habituellement abordé sous le titre de « déclosion du thérapeute ». Le but de O. Renik n’est ni de substituer un nouvel ensemble de prescriptions pour remplacer les anciennes, ni de faire l’avocat de la déclosion spontanée de l’analyste, mais plutôt d’élargir le répertoire clinique en réévaluant systématiquement certaines des directives de l’analyste. Il essaie de défendre une plus grande liberté, et pour finir plus de conscience dans leur choix quant à ce que l’analyste peut dire de lui-même à ses patients.

Le thérapeute narratif ne doit en aucun cas rester silencieux. Il revient au thérapeute au-delà de poser des questions, d’être à l’écoute, de réitérer, de reformuler et surtout de ne pas hésiter à déclore. Suggérer qu’un thérapeute peut minimiser la communication de ses interprétations personnelles, ses réactions émotionnelles, ses valeurs personnelles, ses constructions de la réalité, et toute la suite, revient, à se faire l’avocat du maintien d’une illusion. Soulignons non seulement que l’anonymat est une fiction, mais que le besoin de jouer les « anonymes » peut avoir un effet contraignant et déformant sur les efforts cliniques de l’analyste.

Je pense qu’il est utile pour le thérapeute narratif de faire en sorte que son activité thérapeutique soit comprise le plus clairement possible par le patient.  Ignorer la construction de la réalité faite par le thérapeute n’aide pas le patient à identifier et réfléchir sur ses propres constructions. En essayant de communiquer pleinement sa pensée, le thérapeute est conduit à respecter son patient en tant que collaborateur. Un autre point qui me semble capital, le praticien essaie de rendre la compréhension de sa participation dans un travail commun aussi disponible au patient qu’il est possible pour le praticien. Il s’agit là d’une métacommunication, où l’analyste devrait essayer de dire et de communiquer tout ce qui, à son idée, aidera le patient à comprendre d’où l’analyste pense qu’il vient et où il essaie d’aller avec lui.

Je n’ai jamais hésité dans ma pratique clinique à faire connaître mes pensées dans le détail, je suis plus à l’aise lorsque je partage avec mes patients certaines questions qui sont bien plus larges que des questions centrées uniquement sur leur histoire mais également sur des questions sociétales, politiques, philosophiques et culturelles. Ce genre de déclosion est à la base d’une attitude dans laquelle l’esprit de la thérapie narrative est conçu comme une vraie collaboration entre pairs. A chaque fois qu’un thérapeute narratif garde pour lui ses objectifs, ses méthodes, ses outils ou ses hypothèses personnelles, cela privilégie le point de vue du thérapeute en tant que supérieur au patient, et maintient son image idéalisée. Cela est vrai même dans nos conceptions les plus humaines et bienveillantes de la relation thérapeutique. Devant un dilemme, le thérapeute doit chercher conseil chez un patient, c’est reconnaître explicitement le véritable état des choses, à savoir que chaque couple thérapeutique doit négocier sa propre façon de travailler. La déclosion fait partie intégrante du concept de « NarrActeur », elle permet au thérapeute narratif de se sentir plus à l’aise pour communiquer certaines de ses perceptions au patient. La déclosion à des fins « d’auto-explication » facilite l’analyse du transfert en établissant une atmosphère de spontanéité. Lorsque mes patients ont affaire à moi en train de dire ce que je pense, à propos d’eux, de moi, de nous, ils répondent de même. Dans la pratique thérapeutique et en tenant la posture d’un NarrActeur, le patient se sent libre d’amener toutes sortes d’idées et pris dans un jeu de miroir avec le thérapeute, de pouvoir parler aussi franchement et complètement que possible.


Schéma de l’arc réflexe appliqué au concept de « NarrActeur » (2011-2019)

Le schéma de base du concept de NarrActeur est très simple.
Il comporte 2 extrémités :

  • Celle de gauche, extrémité des valeurs, où le sujet perçoit et narre une histoire dominante saturée, c’est-à-dire une histoire qui met en relief ses rencontres malheureuses, ses événements négatifs, ses défauts, ses échecs qui arrivent à le convaincre qu’il est nul et que son histoire est un désastre.
  • Celle de droite, extrémité de l’action, où le sujet perçoit et narre une histoire alternative, c’est-à-dire une histoire qui met en relief ses belles rencontres, ses événements positifs, ses compétences, ses rêves, ses espoirs et ses intentions qui arrivent à lui démontrer que c’est un « Homme capable ».
  • Entre les 2 extrémités s’installe une conversation thérapeutique entre le patient et le thérapeute dont le but est de déconstruire le problème et de re-devenir co-constructeur de sens. La conversation thérapeutique, les questions du thérapeute, les réponses du patient, et la relation singulière (patient – thérapeute) vont permettre la réémergence d’un sens jusque-là oublié, minimisé, occulté et qui portera le patient vers un transport du futur. Le principe régissant ce trajet en forme d‘Arc est donc très clair : écouter l’histoire dominante du patient, la transformer dans l’espace des conversations thérapeutique et par conséquent, convertir les tensions et les crispations du patient en action plutôt que des ruminations.

L’essentiel du concept de NarrActeur se résume en 8 temps :

  • 1er temps : Externalisation : Le thérapeute questionne le patient pour le mettre en relation avec le problème.
  • 2e temps : Exception :Le thérapeute invite le patient à se reconnecter avec ses compétences.
  • 3e temps : Intention/Valeur : Le thérapeute questionne ce à quoi le patient accorde de la valeur et de l’importance.
  • 4e temps : Re-membering : Le thérapeute questionne le patient sur son « club de vie privé » et l’invite à se souvenir des personnes qui sont importantes pour lui.
  • 5e temps : Témoin extérieur : Remettre le patient en lien avec un proche voir inviter un autre patient à témoigner.
  • 6e temps : Absent et implicite : Le thérapeute questionne le patient sur sa sphère émotionnelle. Une émotion en cache systématiquement une autre (si le patient exprime de la tristesse c’est qu’il connaît la joie). Il s’agit pour le thérapeute d’être attentif au sens caché du discours du patient et d’appliquer une « double écoute ».
  • 7e temps : Déconstruction du discours sociétal : Le thérapeute questionne le patient et attire son attention sur la distinction entre le discours énoncé par la société et celui du patient.
  • 8e temps : Déconstruction des discours internes : Le thérapeute questionne et converse avec le patient afin de lui éviter de se dévaloriser en s’accablant de reproches.

Le concept de « NarrActeur » dans son évolution actuelle (2020)

Le concept de NarrActeur est un néologisme composé des mots Narration et Acteur. « NarrActeur » : c’est lorsque le patient cherche à partir d’une narration, à transformer la façon de raconter l’histoire et par la même occasion les relations qu’il entretient avec soi et avec les autres. Cette narration se déplie dans l’espace de la conversation thérapeutique et implique deux protagonistes (le patient et le thérapeute).

Il est nécessaire de mettre en avant les deux protagonistes pour saisir le concept de « NarrActeur » (il ne s’agit pas uniquement du patient mais bien de la relation patient thérapeute).

  1. D’une part nous avons le patient, avec son histoire, dont il est le seul auteur principal, avec ses savoirs, ses compétences, ses apprentissages générés dans ses récits et qui sont la seule chose qui compte. Le patient a la parole afin qu’il puisse redevenir auteur/acteur de son histoire (narrActeur) en portant donc quelques responsabilitsé sur la manière de donner du sens et une signification à ses actions du quotidien. L’accent est mis sur le sens et la signification que le patient accorde aux événements et aux rencontres en lien avec ses valeurs et ses intentions.
  • D’autre part le thérapeute, occupant la posture d’un conteur, d’un narrateur qui pose tout un tas de questions. En encourageant le patient à trouver d’autres significations aux événements, le thérapeute questionne, il se montre curieux et perplexe, il sollicite l’anecdote et le sens, il cherche le relief dans le plat, il met à jour l’insolite dans le monotone. Par son désir d’entendre le patient parler de lui-même et de ses relations comme il ne l’a jamais fait auparavant, le thérapeute tisse une relation de collaboration : au centre le patient, son savoir et son pouvoir, en soutien le thérapeute, comme un maçon échafaudeur, construisant des marches et des passerelles afin de rendre ré-accessibles au patient ses compétences.

Il est fréquent d’entendre ce qu’est la posture « classique » de tout thérapeute qui se respecte, à savoir occuper la position d’un non-sachant, habité par la conviction que le patient dispose de ressources et que lui seul est l’expert de lui-même. Vous pouvez constater que l’engagement du thérapeute est entier. Il est auteur/acteur à partir de ses questions, de ses narrations mais surtout de ses conversations qu’il a avec le patient. Et nous pourrions dire que : « Le thérapeute est une personne ordinaire qui rencontre une autre personne ordinaire, toutes les deux confrontées à des problèmes ordinaires » mais il faut ajouter que l’une des deux a choisi d’en faire son métier.


La recherche d’un sens à une histoire singulière

Je m’intéresse particulièrement à l’avenir, c’est-à-dire à la signification que le patient attribue à ce qu’il énonce et donc à ce qu’il va mettre en œuvre. Mon concept se fonde sur le sens et la signification qu’un sujet accorde aux événements et aux rencontres de sa vie.

La pratique clinique me démontre et les patients m’enseignent que l’unique intérêt que nous portons à notre existence est fondé sur la recherche de sens que nous attribuons à nos histoires. C’est pourquoi je parle de « recherche d’un sens à ses histoires ».

L’Homme ne réussit pas toujours à donner du sens à ses histoires. On peut alors parler de « crise de sens ».

Si on remonte plus en amont dans l’étymologie, on retrouve le grec krisis qui signifie jugement, décision. La crise correspond à un moment clé, à un moment charnière, à un moment où, en quelque sorte, « tout doit se décider ». D’une certaine façon, la crise c’est « le moment ou jamais ». 

Autrement dit, la crise renvoie à un moment d’opportunité vécu dans la souffrance.

Le terme crise peut se rapporter à trois choses :

  1. Crise de soi, c’est-à-dire sa manière d’être au monde. (Ordre de priorité de ses Valeurs)
  2. Crise du sens que l’on accorde à ses événements et ses rencontres. (Sens que l’on attribue à ses Actions)
  3. Crise d’effort que nous avons pour donner du sens à nos histoires, une raison de vivre.(Signification du sens général de notre histoire)

La crise de sens peut aussi provoquer des malaises, des dissonances entre le système de valeur du patient et ses actions.

            Chaque personne fait face à une question que lui pose son histoire et elle ne peut y répondre qu’en prenant celle-ci en main. C’est pour cette raison que je considère la responsabilité comme l’essence même de l’existence (tant du côté du patient que du thérapeute). Le moment où une personne doit prendre une décision et l’assumer. C’est ce que j’ai développé en partie dans mon concept de « NarrActeur ».


Transport du futur pour notre concept de « NarrActeur » (2020, 21, 22, etc…)

Il nous tarde de continuer notre exploration, de développer, d’enrichir et de partager le concept de « Narracteur » avec des collègues et des praticiens intéressés et d’être tenus au courant des développements venant d’autres personnes engagées dans la pratique et la recherche en thérapie narrative. Pour cela, nous devons faire preuve de souplesse tout en restant rigoureux.  

            Nous pouvons constater une création riche et fructueuse des origines du concept de « NarrActeur ».  Nous avons tenté de mettre en lumière quelques grands principes qui guident notre activité de recherche, inspirés de Freud, Lacan, La French Therory, Frankl et White. Nous arrivons à penser que le concept de « NarrActeur » est une recherche qui est construite socialement par le langage et qui est sans cesse à questionner sans considérer que ce que nous exposons est vrai et peu faire office de théorie à porter universelle, bien au contraire. Le concept n’a pas encore livré toutes ses possibilités et sans doute que nous n’y arriverons pas car il n’a de sens que parce qu’il ne se limite qu’à une portée théorique moyenne et une séquentielle finalité.

            Toute psychothérapie, ne se déroule pas nécessairement dans un climat pacifique et bienveillant, comme s’il allait de soi qu’un pacte de douceur et de poésie devait lier le patient et son thérapeute. La relation thérapeutique se conformerait à ses aspects apaisants, réconfortants et éclairants – en aucun cas à quelque antagonisme. 
Un tel a priori, représente pour nous un discours dominant qui circule dans les communautés de thérapeutes. Le concept de « NarrActeur » traite de la thérapie comme d’un engagement et une implication pleine et entière des deux protagonistes (patient et thérapeute). Nous avons pu examiner les difficultés, les obstacles, les résistances, les succès de surface et les ratages de la psychothérapie « conventionnelle ». Le concept de « NarrActeur » met en lumière la face cachée du soin : une nécessaire conversation thérapeutique entre patient et thérapeute pour aller vers un soin en profondeur, et non vers l’on ne sait quelle « acceptation de ses propres limites », suivie d’une « adaptation pertinente » à la réalité. La conversation thérapeutique, ici, est un échange sincère, franc, honnête de part et d’autre qui a pour but de questionner le sens pour désigner un autre sens, ou mettre en relief un sens caché, de nature curative, c’est-à-dire au profit du patient.

            Il nous faudra encore du temps et se heurter à la critique (constructive de préférence) et aux limites de notre concept pour tenter de l’améliorer, de le développer et de l’expliciter du mieux que nous pouvons pour le rendre utile dans la pratique comme un outil supplémentaire pour le thérapeute qui pourra en faire bénéficier le patient.