
FIONA SOUCHON
Psychologue clinicienne
Thérapeute Narrative
ETUDE DE CAS
Anaïs se présente au cabinet avec le motif suivant : « je fais des crises d’angoisse ». Elle décrit son symptôme comme tel : « le psychiatre m’a parlé d’attaques de panique. Ca me vient n’importe quand, le matin je vais bien je me dis que ça y est je vais bien mais dans la journée cela revient. Le soir, je suis triste, je me dis que je ne pourrai jamais m’en sortir, que je vais devenir folle… ».
Anaïs a 36 ans, elle est commerciale dans le BTP. Elle vit en couple, elle décrit son conjoint comme « l’amour de son adolescence » qu’elle a retrouvé à 31 ans. Un amour « passionnel » est né de ces retrouvailles, ils ont rapidement emménagé ensemble.
« J’ai une vie parfaite, je ne comprends pas pourquoi je suis angoissée, j’ai une vie tout à fait normale et sans problème particulier. J’ai quelqu’un qui m’aime et avec qui je peux construire une famille, j’ai une maison, un boulot que j’adore et je gagne bien ma vie… ».
Anaïs tente de trouver du sens à son angoisse mais elle n’y parvient pas. Lorsque je l’invite à formuler sa demande, elle dit: « je veux que ça redevienne comme avant. J’ai l’impression que c’est impossible, que je suis coincée, que je deviens folle. Je ne me reconnais plus ».
Je l’invite à situer c’est-à-dire à cartographier son problème : « A quel moment vous êtes-vous rendu compte de l’existence de cette angoisse ? Quand est-elle entrée dans votre vie ? » Dans sa demande apparait aussi celle de « redevenir comme avant ». Je questionne : « Qui étiez vous avant ? Quels sont vos souvenirs avant l’arrivée de l’angoisse dans votre vie ? » Nous pouvons remarquer que j’externalise déjà le problème en le nommant « l’angoisse » qui est arrivée dans la vie de la patiente, qui est donc venue comme une compagne de route et non comme faisait partie d’elle ou de sa personnalité. La patiente situe le problème à environ 1 an avant notre rencontre. Elle a d’abord identifié les attaques de panique comme des « malaises vagaux », elle a ensuite vu un généraliste qui a prescrit de l‘homéopathie, puis anxiolytiques très léger puis orientation psychiatre qui a nommé pour la première fois « attaque de panique associée à de l’angoisse ». Voilà Anaïs arrive au cabinet pour la première fois avec une petite carte d’identité : « je suis angoissée avec des attaques de paniques. »
Nous continuons la description du problème : « Comment l’angoisse est arrivée dans votre vie ? Qu’est ce qu’elle vous empêche de faire ? Qu’est ce qu’elle vous oblige à faire ? »
Anaïs répond qu’elle ne sait pas comment l’angoisse est arrivée dans sa vie (le discours externalisant amène Anaïs à elle-même employer « angoisse » à la 3ème personne) mais que ça l’enferme de plus en plus chez elle. Elle (Angoisse) crée des disputes avec son conjoint, un éloignement avec ses amis, une impossibilité de conduire alors que c’est quelque chose qu’elle apprécie particulièrement, mais surtout elle insiste sur le fait que sa vie « parfaite » ne l’est plus depuis. Cette notion de « vie parfaite et modèle » revient à plusieurs reprises dans son discours.
Je vais alors, dans un deuxième temps, questionner cette notion de « vie modèle sans problèmes ». La patiente va décrire sa vie conjugale comme idéale, elle est avec un homme qui l’aime et avec qui elle a tous les moyens selon elle de construire un foyer sans encombre, elle pourrait se marier et avoir des enfants :
« oui j’ai 36 ans, c’est le moment, je n’ai pas de temps à perdre, je me suis assez amusée… »
Le thérapeute narratif est à l’écoute du discours, du langage, des mots utilisés, oui ! Mais n’oublions pas les émotions ! et là à ce moment là, dans le discours d’Anaïs il n’y en a aucune, j’ai le sentiment que cette phrase « c’est le moment, j’ai 36 ans » ne lui appartient pas, mais je n’en sais rien. Alors je lui pose la question : « qui dit ça ? ». Et elle répond : « moi (esquissant un sourire). Je poursuis : « avez-vous déjà entendu quelqu’un d’autre le dire ? Dans votre entourage ou ailleurs ? ». Et là elle rétorque : « bien sûr : tout le monde le dit ! ».
A ce moment là je vais utiliser deux cartes pour m’orienter dans le questionnement du discours de la patiente qui sont : La carte de déconstruction du contexte sociale, des normes et des étiquettes, associée à la carte des intentions et des valeurs.
La déconstruction du contexte sociale, des normes et des étiquettes m’amène à la questionner sur « qui doit être une femme de 36 ans et que doit-elle faire ? Selon qui ? Sa famille ? Les émissions TV ? l’horloge biologique ? » Je fais des va-et-vient entre son passé, son présent et son futur qui vont permettre de faire ressortir des valeurs oubliées d’Anaïs au profit d’un conformisme aux normes sociales.
« Parlez-moi d’Anaïs à 20 ans, 25 ans ? » « Imaginons qu’Anaïs à 25 ans entre dans mon cabinet et me raconte ses désirs, ses espoirs, que dit-elle ? Décrivez-la-moi dans les moindres détails »
C’est alors qu’une autre version de la patiente apparaît : Anaïs (avant ses 30 ans) souhaitait ne jamais se mettre avec quelqu’un sauf si elle avait un « coup de foudre », elle voulait s’amuser, privilégier ses amis à la vie conjugale. Les enfants ? Pourquoi faire ? C’est un handicap à ce qui est son rêve depuis toujours « voyage et indépendance ». Ce n’est pas incompatible avec le fait d’être en couple selon elle, mais il faut que la personne en question ait les mêmes rêves.
Je vais plus loin et l’amène à développer cette notion d’indépendance. ET là un autre discours apparaît, elle aime Rémi, son conjoint actuel, mais lui ses rêves et ses espoirs sont mariage, maison, enfant et job parfait. Alors au fur et à mesure des conversations Anaïs dissocie son désir de celui de Rémi. « La vie parfaite et sans problème » dont elle parle à la première séance et qu’elle pense avoir, est celle « parfaite » pour Rémi et non pas pour elle.
Elle raconte que l’emménagement, ce n’était pas son idée mais qu’elle sentait qu’elle pouvait perdre de Rémi si elle ne le faisait pas. Et elle était tellement amoureuse de lui. Et si « elle le perdait que retrouverait-elle à son âge ? » : début du discours de la norme qui se met en place dans son histoire.
Se marier n’était pas non plus son idée : « Mais pourquoi pas ? Après tout on s’aime et moi qui aime faire la fête, ce serait une bonne occasion ! ». Les enfants ? : « Je n’en veux pas ! Mais on entend souvent qu’on n’imagine pas sa vie avec mais quand on en a, on n’imagine pas sa vie sans ? »
Anaïs déplie bien la mise en place petit à petit d’une histoire de vie bercée par les discours normatifs du contexte social et dans lequel finalement elle y ressentait un certain confort.
Des valeurs ressortent et s’épaississent au travers de moments d’exception : l’indépendance, la jeunesse et la liberté dont elle a sa propre définition mais qui ont été négligées dans le mode de vie auquel elle s’est conformée. Ses valeurs sont toujours présentes mais elle ne les aperçoit plus dans sa vie actuelle. Au fur et à mesure des séances, « Angoisse » disparaît de son discours mais aussi de sa vie de tous les jours. Elle a maintenant une interprétation sur l’arrivée d’Angoisse dans sa vie, SON interprétation : « c’était un signal d’alerte venu me dire de retrouver mon indépendance. » Dans son histoire de vie aux valeurs négligées mais confortable, Angoisse est venue provoquer un inconfort la poussant à se redevenir actrice, NarrActrice de sa vie en mettant en lumière ses valeurs en accord avec ses actions/intention.
FIONA SOUCHON – Psychologue clinicienne & Thérapeute Narratif
One Response
Belle histoire parlante. Merci.
Olivier.
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